Chapitre 46
L’antre des fées
Tout en sirotant la boisson revigorante, Alexanne vit, dans la fenêtre, la petite fée blonde qui faisait toutes sortes d’acrobaties aériennes pour attirer son attention. Intriguée, l’adolescente alla lui ouvrir. Coquelicot entra dans la chambre et se mit à gazouiller furieusement. Voyant qu’elle n’arrivait pas à se faire comprendre, la petite fée saisit une mèche de cheveux d’Alexanne et la tira jusqu’à ce que son front soit appuyé contre la vitre.
Alexanne vit alors Sylvain Paré à genoux, au milieu de la cour, le visage caché dans ses mains. Elle pivota sur ses talons et courut vers la porte. Coquelicot s’y rendit avant elle et réussit à la lui claquer au nez.
— Mais qu’est-ce qui te prend ? Cet homme a besoin d’aide !
Debout sur le crochet où était suspendu son peignoir, la petite fée se mit à gazouiller en imitant un loup en train de mourir, de la fumée s’élevant dans le ciel et retombant sur l’homme à genoux.
— C’est inutile, Coquelicot, je ne te comprends pas ! La minuscule créature se croisa les bras en adoptant un air guerrier. Alexanne ne savait pas pourquoi elle la retenait dans sa chambre, mais il était clair qu’elle ne désirait pas la laisser passer.
— Tu veux que je finisse ma potion magique ? C’est ça ?
L’orpheline s’empara du verre sur la table de chevet et en but tout le contenu en fixant la petite fée avec défi.
— Voilà, c’est fait. Maintenant, laisse-moi passer.
Coquelicot ne broncha pas.
— Si tu ne veux pas te faire assommer, je te suggère de t’enlever tout de suite de là, la menaça Alexanne.
Elle mit la main sur la poignée et commença à ouvrir la porte. La petite fée battit furieusement des ailes pour la tenir fermée, mais n’étant pas assez forte, elle abandonna la partie. Alexanne fonça dans le couloir et dévala l’escalier. Elle s’arrêta dans la fenêtre de la cuisine, pour observer l’inconnu avant de se risquer dehors. Il ne semblait pas menaçant et il était manifestement en détresse. Pas question de le laisser dans cet état. C’était son devoir de fée de lui venir en aide.
Elle fit un pas vers la porte qui donnait sur la cour et sentit une main lui saisir l’épaule… Elle tourna la tête et rencontra le regard inquiet de Tatiana.
— Je m’occupe de lui, déclara sa tante. Reste dans la maison.
Alexanne savait que la guérisseuse possédait des pouvoirs qu’elle n’avait pas encore développés et qu’elle pourrait mieux se défendre qu’elle si le mal habitait aussi cet homme. Elle accepta donc d’observer son intervention de loin, derrière la porte grillagée.
Tatiana s’approcha de Sylvain Paré en sondant son cœur. Il cachait toujours son visage dans ses mains, priant le ciel que l’entité maléfique ne se soit pas emparée de lui. La guérisseuse avisa le sac et la caméra sur le sol, près de lui, et comprit qu’il était journaliste.
— Puis-je vous aider ?
Sylvain Paré découvrit son visage baigné de larmes. Tatiana s’approcha davantage en imaginant une belle lumière dorée autour de lui, ce qui sembla aussitôt le calmer.
— Je suis Tatiana Kalinovsky. Qui êtes-vous ?
— J’ai vu de la lumière divine dans cette fenêtre, murmura Paré, et de la fumée noire…
Il était visiblement ébranlé, et Tatiana était bien placée pour comprendre sa confusion.
— Venez. Je vais vous préparer une tisane qui va vous remettre d’aplomb.
— Non, je n’ai pas soif. Je vous en conjure, dites-moi ce qui s’est passé là-haut.
— Si vous voulez des réponses, vous devez d’abord me révéler votre identité.
— Paré… Sylvain Paré, bafouilla-t-il en fouillant ses poches à la recherche de ses papiers. Je suis journaliste.
Il se releva et lui tendit sa carte. Tatiana la prit, mais au lieu de lire ce qui y était écrit, elle en étudia les vibrations. Ressentant la sincérité de cet homme, elle lui rendit sa carte.
— Pourquoi êtes-vous sur ma propriété ?
— Je cherche la jeune fille qui se trouvait dans l’église quand on a tiré sur le loup. Je veux écrire un article sur ce qui s’est réellement passé ce soir-là. On m’a dit qu’elle était votre nièce.
— Je ne crois pas que cette jeune personne soit intéressée à se faire montrer du doigt pour le reste de ses jours, monsieur Paré.
— Non, vous ne comprenez pas. Je ne mentionne jamais les noms de qui que ce soit dans mes articles. C’est l’histoire qui m’intéresse, pas les gens qui font l’histoire. J’écris pour un magazine de phénomènes inexpliqués et de guérisons miraculeuses.
— Qui vous a parlé de cette affaire ?
— Un ami du curé Brisson, qui sait que je m’intéresse à l’insolite.
Paré ramassa son sac et sa caméra, puis s’assit à la table de jardin. Il déposa ses affaires, remit la caméra dans le sac et en extirpa quelques exemplaires de son magazine.
— J’ai ici des exemples d’articles que j’ai écrits. Si vous les lisez, vous verrez que je ne mentionne pas le nom de qui que ce soit, même quand il s’agit de guérisons ou d’apparitions de la Vierge, à moins que les témoins insistent vraiment. Je comprends que certaines personnes recherchent ce genre de publicité, mais je sais aussi que d’autres ne veulent pas être importunées.
— Je vous crois, monsieur Paré.
— Vous êtes la guérisseuse dont tout le monde parle au village, n’est-ce pas ?
— Oui, c’est bien moi.
— Dites-moi ce que j’ai vu dans cette fenêtre avant que je perde la raison.
— C’était un ange. Ils travaillent parfois avec moi.
— Et la fumée noire au-dessus de la maison ?
— Ça, c’est plus compliqué à expliquer.
— C’était une entité négative, n’est-ce pas ?
— Je le crains.
— Mais pourquoi une entité négative se trouvait-elle dans la même maison qu’un ange et une guérisseuse ? Est-ce lié à cette histoire de loup-garou qu’on raconte au village, à cent kilomètres d’ici ?
Tatiana lui expliqua que l’ombre avait élu domicile dans un loup, et que le loup avait ensuite mordu un homme, lui transmettant son mal.
— J’écris des articles sur le surnaturel depuis des années, mais c’est la première fois que je me heurte à une histoire de loup-garou. Je croyais qu’il n’y en avait qu’en Europe.
— Détrompez-vous.
Ayant choisi de lui faire confiance, Tatiana ajouta que la victime du loup avait un bon cœur, et qu’elle avait refusé de céder aux pressions du mal qui la poussait à mordre un autre être humain. Grâce à Dieu et aux anges, elle était désormais délivrée de l’obscurité.
Sylvain Paré voulut alors savoir de quelle façon sa nièce avait été mêlée à cette affaire. Tatiana lui expliqua que le lien entre la nièce et la victime du loup était puissant et remontait à plusieurs vies. Il était donc tout naturel qu’elle ait voulu le secourir en s’adressant au curé du village. Malheureusement, ce jeune prêtre, qui ne croyait pas aux métamorphoses, avait paniqué et provoqué tous les tragiques événements dont on reparlerait encore pendant des années au village.
Lorsque le journaliste quitta la propriété des Kalinovsky, quelques minutes plus tard, il avait suffisamment d’éléments pour écrire l’histoire de l’homme-loup, et il promit à Tatiana de lui faire parvenir une copie de son article avant de le faire paraître.